Dans la liturgie du 2eme Dimanche de l’Avent, j’ai été frappé par le choix des textes de la messe, particulièrement l’extrait d’Isaïe (11) et l’évangile selon Saint Matthieu (3).
D’un coté, une vision de paix et de bonheur avec l’avènement annoncé » du Messie, de l’autre, la rudesse et la véhémence de Jean Baptiste vis-à-vis de tous ceux qui viennent à lui. Deux textes contrastés et qui se heurtent.Jean proclame la conversion en vue du Royaume des cieux et menace les durs de cœur de la colère du Dieu juge. Mème si cette menace est évoquée parle prophète à l’encontre du méchant, c’est surtout la justice et la paix qui dominent dans cet oracle. On pourrait comparer bien des éléments des deux textes :
D’un coté, le vêtement grossier et la ceinture de cuir de Jean, de l’autre, le Messie a pour ceinture la justice et la fidélité. Dans la création restaurée, les animaux vivent en harmonie et se nourrissent d’herbe et de fourrage alors qu’on peut supposer dans l’Évangile des rapports conflictuels entre les hommes. Chez Isaïe, même le cobra et la vipère sont devenus inoffensifs tandis que les pharisiens et les sadducéens sont qualifiés « d’engeance de vipères ». L’arbre qui ne porte pas de bons fruits est menacé de la cognée et du bûcher. Un seul arbre chez le prophète : le rameau qui sort de la souche de Jessé, c’est à dire le Messie .
Sur Lui, repose l’esprit du Seigneur : esprit de sagesse et de discernement, esprit de conseil et de force, esprit de connaissance et de crainte du Seigneur. Jean Baptiste, quant à lui, annonce la venue de l’Esprit Saint comme un feu purificateur, qui opère un jugement, séparant les bons des méchants.
Ces textes si différents ne s’opposent pas totalement. Isaïe annonce un avenir idéal, la venue du Messie qui restaurera la création et établira un règne de justice et de paix. C’est l’avènement imminent de ce messie qu’annonce Jean Baptiste. Sa mission est de préparer les cœurs à l’accueillir par une conversion véritable. Il bouscule ses auditeurs car il y a urgence.
Dans la Règle, Saint Benoît dit que l’Abbé tient, dans le monastère, la place du Christ. On pourrait dire aussi que sa mission s’apparente à celle de Jean-Baptiste. En effet, par son enseignement et par son exemple, il exhorte à la conversion. Oh ! sans doute, nous ne sommes pas une engeance de vipères ! Mais quand même, nous avons nos torpeurs et nos langueurs, nos tiédeurs et nos aigreurs et même nos rancœurs. Quelle pesanteur !! C’est une tache ardue de les convertir en zèle à faire le bien pour le service de Dieu et des frères et sœurs.
Mais la simple conversion n’est pas un changement moral. Elle nous oriente vers le Christ venu dans le monde pour ramener l’homme à son Père. Comment ne pas évoquer le retable d’Issenheim de Mathias Grünewald où Jean-Baptiste, rappelé du passé, pointe son index vers le Crucifié, tandis qu’à ses pieds, l’Agneau immolé verse son sang dans le calice ! Jean avait reconnu en Jésus l’Agneau de Dieu et avait vu l’Esprit reposer sur Lui. Il lui avait préparé la route, le route de Jérusalem qui devait s’achever avec sa Pâque.
Ainsi le rôle de l’Abbé est de désigner le Christ car c’est sur lui que repose l’édifice que nous formons. Il est la pierre angulaire comme nous le chanterons dans la 6ème des grandes antiennes : « O Rex Gentium » : « O Roi des nations, objet de leur désir, pierre angulaire qui réunit en un les deux peuples, viens et sauve l’homme que tu as pétri du limon. »
Nous avons célébré récemment le cinquantième anniversaire de la consécration de notre église abbatiale. Cet évènement de 1969 marquait une étape dans l’histoire de la communauté et de l’abbaye dont les racines plongent bien avant. Aujourd’hui, beaucoup de témoins et d’acteurs de cette histoire nous précèdent dans la patrie céleste. Mais la vie continue avec les inconnues de l’avenir.
Dans son homélie du 2 novembre 1969, au lendemain de la Dédicace, P. Abbé Paul disait :
« Tous ces évènements, toute cette histoire, c’est une matière que Dieu travaille par les hommes qui la vivent et qui doivent se prêter à l’action même de Dieu. C’est ainsi que s’édifie le corps du Christ, c’est ainsi qu’on essaie de vivre le mystère de l’Église. Unissons-nous dans cette prière d’action de grâces, dans cette joie, dans cette prière d’intercession aussi. Unissons-nous dans cet acte d’humilité par lequel nous devons reconnaître nos limites, nos faiblesses, nos fautes, pour demander à Dieu de les prendre, de les pardonner, de les écarter du cheminement que nous devons connaître, afin que Lui puisse passer.
Et alors, sans prétendre faire des choses extraordinaires, en étant simplement là ou Dieu nous veut et comme Il nous veut, laissons-nous prendre par la force de Sa grâce, afin d’être comme Il le désire,les coopérateurs de Son œuvre, les pierres vivantes de l’édifice qu’Il se construit »
Ce texte garde toute son actualité et n’appelle pas de commentaires. Nos communautés sont certes différentes d’il y a 70, 50 ou 25 ans. En 2005, pour l’anniversaire de l’oblation de Sainte Françoise Romaine et celui de la fondation de Cormeilles, nos sœurs avaient édité une carte avec la citation d’Isaïe 6, 13 : « La souche est une semence sainte .»
La vie continue.
Une année nouvelle s’ouvre devant nous, une année décisive. Abordons-la dans la confiance et l’espérance. Même si, avec le poids des ans, nous avons l’impression d’être une vieille souche, sachons que la sève continue de l’irriguer et de donner de nouvelles pousses. La souche de Jessé a produit le Christ. Jésus est la vigne du Père à laquelle sont reliés les sarments. Si nous demeurons greffés sur Lui, nous porterons du fruit, un fruit nouveau mais un fruit qui demeure. Personnellement et communautairement.
Fr. Claude
Prieur du Bec