Les scribes et les pharisiens pressent Jésus de se prononcer devant le cas d’une femme surprise en train de commettre l’adultère : il se tait. En fait, c’est lui l’accusé, car quoi qu’il dise, il tombera dans le piège qu’on lui tend ; la femme, ici, n’est qu’un prétexte, un cas ; elle n’intéresse pas du tout ses accusateurs. Par contre, Jésus, lui, s’intéresse à elle.
La loi qu’invoque les légistes, nécessaire pour la vie et le bon ordre d’une société, ne règle pas tout et présente même un grave inconvénient : elle est tournée vers le passé des personnes et les fige dans un moment où ils n’étaient pas toujours eux-mêmes. Leur casier judiciaire leur rappellera, jusqu’à la fin, un faux pas, un acte irrémédiable, une déchéance humiliante.On a beau dire que tout sera mis en œuvre pour que les condamnés se reconstruisent et rebondissent, pour quelques uns qui, effectivement, tireront profit d’une séquence malheureuse, combien seront cassés et même récidiveront ?
Le pardon est, lui, tournée vers l’avenir de la personne pardonnée. Il est une marque d’amour, de confiance. Il n’efface pas l’acte mauvais, le délit, mais il dit : « tu vaux plus que ce que tu as commis ; tu peux te reprendre et aller de l’avant ; Je ne te tiens pas rigueur de ta faute. » Ce n’est pas de la faiblesse, pas même de l’indulgence ; c’est un acte fort, qui met l’autre devant ses responsabilités, considérant qu’il a en lui-même les ressources nécessaires pour repartir.
Jésus ne juge pas la femme : « Moi non plus, je ne condamne pas ! » Il l’engage d’abord à se reprendre : « Va ! » Il ne minimise pourtant pas sa conduite : « Ne pèche plus ! » C’est elle, sa vie, son avenir, son salut, qui importe à Jésus. Pour en arriver là, il faut aimer et désirer pour l’autre le meilleur, le salut. Les légistes, eux, risquent fatalement d’oublier la personne et de faire de la loi un absolu auquel tous doivent obéir, devant lequel tout doit plier.
Voilà le chemin qu’a suivi Jésus : le pardon ! Il nous le dit explicitement : « Moi, je ne juge personne (Jn 8, 15) », pas même les scribes et les pharisiens qu’il renvoie ici à leur conscience ; « je suis venu pour sauver ce qui était perdu (Lc 19, 10) », en l’occurrence, cette femme réduite à l’état d’objet par ses accusateurs ; « Dieu n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour le condamner, mais pour qu’il soit sauvé par lui » (Jn 3, 17), et « par lui », cela veut dire par la croix.
Car, en Jésus, la loi, forcément extérieure, est dépassée, et est inscrite, désormais, en chacun de nous, habités que nous sommes par l’Esprit du Christ depuis notre baptême. « Pardonne-nous nos offenses, Seigneur, comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés ! » Voilà la marque du Chrétien !
Les lois humaines demeurent et doivent être respectées ; la loi de Dieu va plus loin, voit la personne et lui ouvre un avenir : le Royaume des cieux. Si nous sommes plus enclins à assigner les autres au tribunal qu’à les accompagner au temple du pardon, nous ne sommes pas de vrais disciples du Christ.
Fr. Paul Emmanuel
Abbé du Bec