Il faut relire l’encyclique Laudato si’, du Pape François, de 2015, pour percevoir l’enjeu des recherches actuelles, en matière de développement durable, de commerce équitable, d’économie circulaire, d’énergie propre et renouvelable, d’écologie humaine et globale :
J’adresse une invitation urgente à un nouveau dialogue sur la façon dont nous construisons l’avenir de la planète. Nous avons besoin d’une conversion qui nous unisse tous, parce que le défi environnemental que nous vivons, et ses racines humaines, nous concernent et nous touchent tous.
Le mouvement écologique mondial a déjà parcouru un long chemin, digne d’appréciation, et il a généré de nombreuses associations citoyennes qui ont aidé à la prise de conscience. Malheureusement, beaucoup d’efforts pour chercher des solutions concrètes à la crise environnementale échouent souvent, non seulement à cause de l’opposition des puissants, mais aussi par manque d’intérêt de la part des autres.
Les attitudes qui obstruent les chemins de solutions, même parmi les croyants, vont de la négation du problème jusqu’à l’indifférence, la résignation facile, ou la confiance aveugle dans les solutions techniques. Il nous faut une nouvelle solidarité universelle.
Comme l’ont affirmé les Évêques d’Afrique du Sud, « les talents et l’implication de tous sont nécessaires pour réparer les dommages causés par les abus humains à l’encontre de la création de Dieu ».
Tous, nous pouvons collaborer comme instruments de Dieu pour la sauvegarde de la création, chacun selon sa culture, son expérience, ses initiatives et ses capacités.
Ce discours rejoint les nombreuses voix qui s’élèvent aujourd’hui pour nous alerter sur l’urgence d’un changement de comportements, en matière de consommation, de pratiques commerciales ou financières, de politique de la santé, de justice sociale, d’intégration des migrants, de relations internationales…
Ce qui suppose une conversion intérieure, car tout est lié, et les seules mesures pratiques échoueront, si les mentalités et les comportements ne changent pas. On vient, par exemple, de réduire à 80 km/h la vitesse des voitures sur les routes départementales et nationales ; mais tant qu’on ne voit pas un radar, on continue à rouler à 95, voire 105 km/h, sans penser que cette conduite est irresponsable, dangereuse pour les autres. La loi s’impose à tous et, de ce fait, doit être acceptée, décidée, appliquée par chacun.
Autre exemple d’incohérence : inciter les agriculteurs à produire de la qualité, en respectant des normes strictes, ce qui fait monter les prix de leur production, et amène les grands groupes tout puissants à importer de l’huile du Chili, bien moins chère …
Le Pape François parle d’écologie intégrale, signifiant par là que notre époque doit opérer un profond retournement de tous ses schémas, personnels et collectifs, si elle veut préparer l’avenir de la planète.
Car le réchauffement climatique, unanimement reconnu comme un phénomène irréversible, pose à tout le monde d’énormes questions :
- N’allons-nous pas connaître des mouvements migratoires autrement plus massifs que ceux d’aujourd’hui ?
- Les dérèglements financiers générés par une spéculation sans frein ne vont-ils pas provoquer une nouvelle crise, plus dramatique que celle de 2008 ? (1)
- Les recherches de la génétique pourraient conduire à des manipulations très problématiques sur l’homme, jusqu’à nuire à son intégrité.
- En agriculture, pour forcer la terre à produire toujours plus, on use de pratiques suicidaires qui détruisent les équilibres naturels et menacent la santé de la planète (2).
- Et que dire de la déforestation sauvages, dans certaines régions, des montagnes de déchets qui polluent notre air, des gaz à effet de serre (GEF) que nous avons bien du mal à maîtriser… ?
Face à ces problématiques toute nouvelles, on a beau organiser des états généraux de réflexion éthique, le mythe du progrès bouscule tous nos repères et emporte, comme une lame de fond, les lignes que nous nous interdisions jusqu’à maintenant de franchir. Le souvenir de la Tour de Babel devrait pourtant nous servir de leçon.
Devant ces perspectives catastrophiques, les savants cherchent à nous rassurer avec des arguments simples, fondés sur des prévisions plus qu’hypothétiques ; certains visionnaires, qui ont quelques moyens, osent de modestes expériences, qui paraissent dérisoires aux gens réalistes, toujours sceptiques devant les nouveautés ; beaucoup, démunis mais de bonne volonté, adoptent tout bonnement un mode de vie plus simple ; la majorité, pendant ce temps, se bouche les yeux, pensant qu’avant le fin du siècle, la science aura certainement trouvé des remèdes aux maux dont souffre le monde.
Les Eglises chrétiennes ont, ici, à faire entendre leur voix, car leur vision de l’homme les habilite à dire ce qu’est le véritable progrès et ce qui, à l’inverse, représente une dangereuse régression.
Sans doute n’ont-elles pas bonne presse, dans une société déchristianisée, scandalisée par leurs propres incohérences et leurs discours parfois suffisants. Mais il faut être borné, pour croire que la science, la technique, la médecine particulièrement, auront bientôt réponse à tout ; pour ne pas voir que l’homme passe l’homme, et qu’il a impérieusement besoin, qu’il croie ou ne croie pas, … d’un horizon de salut (3).
Il faut être bien naïf, pour imaginer que la civilisation occidentale commence avec nous et a la capacité de refaire le monde, neuf et parfait. La voix du pape François a eu et a toujours un grand impact, sans doute parce qu’il voit l’écologie comme un enjeu vital pour le présent et l’avenir de l’homme, de l’humanité donc.
Les moines ont aussi quelque chose à dire : saint Benoît, dans la règle qu’ils suivent, parle du travail comme d’une participation à l’œuvre créatrice de Dieu ; il invite donc les frères à s’appliquer à leurs tâches quotidiennes avec autant de soin qu’à la prière (4), à vendre les produits qu’ils commercialisent moins chers que les séculiers, le but de leur travail n’étant pas de faire du profit, mais de vivre par eux-mêmes.
La vie simple que Benoît les invite à adopter réduit, de ce fait, leurs besoins, les rend moins exigeants en matière de confort, leur donne du recul par rapport à l’emprise irrépressible des moyens de communication, les amène à respecter la création, et donne surtout du sens à leur existence.
Vient de paraître un livre au titre évocateur : l’économie monastique, une économie alternative pour notre temps (5). L’ouvrage, riche de réflexions pertinentes, laisse entendre que la vie monastique, sans être prophétique sur le plan de l’écologie globale, demeure très proche de cette veine d’avenir.
Comme beaucoup de sociétés, les monastères, vivant autrefois en autarcie et sans grands besoins, ont dû se mettre au diapason de la culture dans laquelle ils étaient insérés : les échanges commerciaux, par exemple, ont pour eux décuplé, quand, parallèlement, ils étaient contraints d’arrêter certaines activités, agricoles spécialement, déficitaires et devenues incompatibles, de par la complexification de leur gestion, avec la spécificité du temps monastique, lent et long toujours.
Les monastères ne sont pas des modèles, en matière d’écologie, mais leur propos induit en lui-même cette préoccupation. Ils se convertissent progressivement eux aussi, que ce soit dans les domaines de l’alimentation, du chauffage, de l’isolation, des véhicules, de leurs activités…,
Il y va du salut de tous les hommes et de tout l’homme, de la salubrité et de l’agrément de notre ‘maison commune’.
Fr. Paul Emmanuel
Abbé du Bec