Homélie :
La liturgie de ce dimanche nous propose des récits de vocations. Isaïe évoque l’origine de sa mission prophétique. L’Évangile rapporte l’appel de Pierre et des premiers apôtres par Jésus. Et, dans la première épître aux Corinthiens, Paul rappelle le fondement de son témoignage. À travers eux, nous sommes éclairés sur notre vocation de baptisés. Ces textes nous concernent car, grâce aux messages de ses témoins, nous sommes aujourd’hui membres du peuple de Dieu.
À l’origine de ces vocations, qu’elles soient prophétiques ou apostoliques, se manifeste la grandeur et la sainteté divine. Ces théophanies provoquent, chez celui qui est appelé, une réaction de crainte. La majesté du Dieu trois fois saint remplit le temple et Isaïe s’écrit : « Malheur à moi, car je suis un homme aux lèvres impures… Et mes yeux ont vu le Seigneur de l’univers ! » La puissance divine de Jésus se révèle à Pierre quand les barques s’enfoncent à cause de la quantité de poissons. Pierre aussitôt tombe à genoux devant lui : « Seigneur, éloigne-toi de moi, car je suis un homme pêcheur ! » Quant à Paul, que le Seigneur a terrassé sur le chemin de Damas, il se reconnaît indigne d’être appelé apôtre, lui qui était naguère un persécuteur de l’Eglise de Dieu. Et l’on pourrait aussi évoquer l’effroi d’Abraham, de Jacob ou de Moïse en présence du Très Haut.
En effet, lorsque la grandeur et la sainteté de Dieu se manifeste de manière aussi inattendue, celui qui est appelé est saisi d’effroi et prend conscience de sa faiblesse et de son péché. Il réalise le décalage immense qui sépare la sainteté de Dieu de sa petitesse. N’avons-nous pas nous-même éprouvé ce sentiment de vertige devant l’appel de Dieu en prenant conscience de nos limites et de notre indignité ?
Cette expérience d’une distance entre Dieu et celui qui est appelé apparaît dans toute vocation. Mais, si Dieu prend l’initiative de choisir, il donne aussi les moyens de répondre à son appel. Un séraphin vient purifier les lèvres d’Isaïe qui peut répondre : « Me voici ! Envoie-moi ! » Jésus encourage Pierre : « Sois sans crainte, désormais ce sont des hommes que tu prendras ». Et, à Paul, Jésus déclare : »Ma grâce te suffit ». Et cette grâce en lui n’aura pas été vaine. D’ailleurs cette injonction « Ne crains pas » rythme toute la révélation biblique et sa plus belle expression se trouve dans le message de l’ange Gabriel à Marie lors de l’Annonciation : « Ne crains pas, Marie, car tu as trouvé grâce devant Dieu ».
À celui qu’il appelle et qui se reconnaît pêcheur, Jésus fait miséricorde. À Isaïe, à Pierre, à Paul, il confie une mission : Annoncer aux hommes la Parole de Dieu les ramener à lui par la conversion et par la foi et les rassembler en un peuple qui lui appartienne.
Dans ces textes que nous venons d’entendre, la Parole de Dieu est première, particulièrement dans ce récit évangélique. C’est elle que Jésus proclame à la foule qui se presse autour de lui. Lorsqu’il a fini de parler il accomplit un signe qui l’authentifie. C’est à elle que Simon obéit dans la foi : « Sur ta parole, je vais jeter les filets ». Et c’est elle, enfin, qui l’encourage dans sa mission et l’invite, avec ses compagnons, à suivre Jésus et à poursuivre sa mission de la proclamer à tous les hommes.
En même temps, cette page de l’évangile de Luc nous donne une image de l’Eglise qui s’édifie. Cette Eglise de Dieu est déjà esquissée dans la foule qui écoute Jésus. Elle est aussi symbolisée par la barque de Pierre dans laquelle Jésus prend place. C’est déjà l’église de la Pentecôte, fondée sur la foi en Jésus ressuscité, celui que Pierre appelle « Seigneur » et rassemblée par l’Esprit Saint. Jésus demeure présent au milieu de son peuple, composé de tous les hommes qui ont cru en sa Parole, tel les poissons qui débordent des deux barques.
Car ces pêcheurs de métier sont devenus, à la suite de Jésus, des pêcheurs d’hommes. Leurs filets ne donnent plus la mort comme avant, mais ils prennent des hommes pour en faire des vivants, sauvés par le Seigneur. C’est une communauté pascale qui s’édifie sur le Ressuscité. Dans l’Eglise, Jésus communique sa vie divine par la foi en sa Parole, le baptême et les autres sacrements : C’est cette communauté des vivants à laquelle nous appartenons par une double vocation.
D’abord grâce aux témoignages des apôtres et de leurs successeurs, nous avons reçu l’appel de Jésus, et cela bien souvent sans manifestation spectaculaire comme celles que nous venons d’entendre. Nous l’avons reconnu dans nos vies à travers des signes discrets comme l’écoute silencieuse de la Parole de Dieu ou le témoignage d’autre chrétiens donnés par leurs paroles et leur vie rayonnante. Jésus nous invite à revenir à Lui par une vraie conversion. Son appel exige un don total de nous-mêmes, là où nous sommes. Quel que soit notre état de vie, c’est notre cœur qu’il nous demande de lui offrir. Nos relations et nos activités trouveront leur juste place si elles sont ordonnées à l’amour que nous lui portons.
La Parole de Dieu peut être déroutante et exigeante. Sur l’ordre de Jésus, Pierre a jeté les filets après une nuit de vain labeur. Mais son humble obéissance a été gratifié au-delà de toute attente. Notre marche à la suite de Jésus sera jalonnée de renoncements. Grâce à sa présence, nous trouverons la lumière après la nuit.
Mais notre vocation comporte un second aspect. Si Dieu nous appelle, ça n’est pas simplement pour que nous parvenions à un bonheur individuel. Nous sommes envoyés en mission, car nous sommes une communauté de croyants, à dimension universelle. La vie reçue de Dieu se communique et son amour se répand de proche en proche. Nous sommes témoins de sa résurrection dans nos vies et dans l’Eglise. Nous devons porter cette bonne nouvelle, manifester sa présence là où demeurent les ténèbres, la haine et la division. Ouvrons-nous à l’action de l’Esprit Saint dans la diversité des situations. Par lui, l’Église ne cesse de s’édifier et d’annoncer la résurrection de Jésus à tous les hommes.
Frère Claude
Moine du Bec