Homélie :
En écoutant le début de l’évangile de ce dimanche, nous sommes frappés par la solennité de cette introduction, mais aussi un peu perdus devant cette énumération de personnages et de régions. Trop l’empereur Tibère, Hérode et Pilate seront des acteurs de la Passion de Jésus, de même que les chefs religieux, les grands prêtres Hanne et Caïfe. Quant aux régions mentionnées, seules la Judée et la Galilée nous sont familières, les autres débordant au nord et à l’est les frontières de la Palestine.
En citant ces personnages et ces lieux, l’évangéliste Luc veut signifier que le mystère de Jean, comme plus tard celui de Jésus, s’est exercé dans un cadre géographique et historique bien précis. Le début de son activité est daté de l’an 15 du règne de l’empereur Tibère. La mention des chefs politiques et religieux, comme celle de Pilate dans le credo que nous professons chaque dimanche, atteste le fondement historique de notre foi.
Jésus vient dans notre monde, dans l’histoire des hommes. Il s’est vraiment fait l’un de nous et il a donné sa vie pour nous sauver. C’est bien là une des dimensions du mystère de l’Incarnation que nous célébrons à Noël. En Lui, s’accomplissent les promesses de Dieu. L’histoire du salut s’inscrit dans le cadre de l’histoire universelle.
La Parole de Dieu fait donc irruption parmi les hommes par la médiation de Jean au désert. C’est dans ce contexte officiel, géographique, historique et religieux, que le dernier des prophètes, dans toute sa faiblesse et son humilité, est saisi par la force de Dieu. Au bruit des cités et au luxe des palais sont opposés l’austérité et le silence du désert. Au terme de la longue lignée des prophètes qui ont parlé à Israël, Jean fais le lien entre l’ère ancienne et l’ère nouvelle, s’effaçant devant celui qu’il reconnaît comme plus grand que lui. Il est la voix qui prépare à recevoir la Parole. Précurseur du Fils de Dieu dans sa naissance et dans sa mort, il paiera de sa vie la fidélité à sa mission. Car lorsqu’elle advient dans le monde, la Parole de Dieu bouscule l’ordre établi, dénonce les fausses valeurs, heurte l’orgueil des puissants et rencontre des oppositions. Jésus en fera l’expérience, et tant de ses disciples après Lui.
Dans toute la région du Jourdain, Jean proclame un baptême de conversion pour le pardon des péchés. Cet appel qu’il adresse à tous ceux qui vont à lui veut les préparer à accueillir celui qui vient partager notre condition et nous révéler l’amour de son Père.
Nous sommes nous aussi invités à entrer dans cette démarche de conversion. L’Église nous exhorte à nous détourner de nos voies mauvaises et à revenir au Seigneur par la prière, l’écoute de sa Parole, la fidélité à nos engagements, la pratique de la justice et de la piété. Suivant la proclamation d’Isaïe reprise par Jean, préparons le chemin du Seigneur, comblant les ravins, abaissant montagne et collines, redressant les passages tortueux. C’est tout le travail de notre transformation intérieure qui est ici décrit : Briser notre orgueil, rejeter le mensonge, la haine et la justice, corriger notre jugement, pratiquer l’humilité, la douceur, la patience et la justice, nous laisser envahir par la charité. Tout cela nous amène à vivre en conformité à la volonté de Dieu et à mettre en Lui notre confiance.
S’il fallait une image pour illustrer ce travail de renouvellement, nous pourrions la trouver dans la résurrection de la cathédrale Notre-Dame de Paris. Renaissant de ses cendres, elle rayonne aujourd’hui dans l’éclat de sa splendeur nouvelle. C’est le résultat d’une émotion, d’un élan et d’un labeur intenses. Mais cette réussite invite chacun à regarder au-delà de l’édifice de pierres et à découvrir le temple de la présence de Dieu dont il est le signe. Car Dieu habite dans la communauté rassemblée en son nom comme en chacun des croyants. Et Lui, qui voit le fond des cœurs, sait combien d’hommes et de femmes ont pu, à travers cette épreuve, cheminer dans la foi et nouer avec Lui une relation plus forte.
Dieu ne cesse d’accomplir des merveilles. Ces merveilles, le prophète Baruch les voie dans le retour des exilés qu’il décrit comme une marche joyeuse et triomphale. Sans doute est-ce la vision poétique et idéal qui transfigure une réalité longue et pénible. Mais malgré la rudesse et la longueur du chemin, Dieu apporte son secours car il est fidèle à ses promesses. Il fait miséricorde à tous ceux qui reviennent vers Lui.
De même tout le travail de conversion entrepris dans le cœur des fidèles, l’Esprit Saint le mène à bonne fin. Il nous donne la lumière pour éclairer notre route et nous faire avancer dans la justice et la charité. Selon la parole de l’apôtre Paul que nous venons d’entendre, il poursuit l’œuvre qu’il a commencé en nous, jusqu’à son achèvement au jour où viendra le Christ.
Parvenir au terme de ce retour d’exil, de ce chemin de conversion, c’est voir le salut de Dieu. Et ce salut est promis à toute homme, selon la parole prophétique reprise par Saint-Luc. L’amour de Dieu est universel. Jésus vient sauver Israël et les nations, la Parole de Dieu qui fait irruption sur les bords du Jourdain retentira jusqu’aux extrémités du monde. Elle nous rejoint dans nos vies, aussi bien dans les grands événements que dans la trame parfois monotone du quotidien.
Ainsi, en ce temps de préparation à la venue du Seigneur, allons au devant de Lui, mais aussi avec Lui et à sa suite, car il nous accompagne et nous précède. La route de notre retour d’exil est souvent ralentie par nos reculs et nos chutes qui alternent avec nos progrès et nos relèvements. Réparer les chemins du Seigneur par une vraie conversion, c’est accueillir Jésus qui est lui-même le Chemin et la Vie. Par son Incarnation, il nous entraîne à sa suite vers la vie en plénitude grâce à sa mort et à sa résurrection. Que cette Eucharistie soutienne notre marche vers le salut de Dieu.
Frère Claude
Moine du Bec