Homélie :
In voluntate tua, Domine, universa sunt posita
« Seigneur […], tout dépend de ta volonté… » (Esther 4, 17)
Cet extrait de la prière de Mardochée est l’introït de notre office dominical. Son but, c’est de nous inviter à adorer Dieu, nous qui avons conscience de nos limites et de nos faiblesses. Mardochée, bien plus qu’une simple dénomination du livre d’Esther, est un bel exemple d’adorateur. Il est une légende, une figure immortelle par sa fidélité, par sa dignité et par sa sagesse. Son nom signifie « Guerrier », pas parce qu’il est fort lui-même, mais parce que Dieu est fort en lui. Ainsi Mardochée n’entend pas se soumettre au fait de prince d’un monarque suzerain qui se cherche. Bien instruit sur sa propre impuissance, Mardochée refuse néanmoins de mettre la gloire d’un homme plus haut que la gloire de Dieu, déclarant qu’il ne se prosternera devant personne, sauf devant le Seigneur. Sa pugnacité dans la foi inspire une méditation en quatre points :
1. Le Psaume 94 nous convie d’emblée à un service d’adoration matinale. Ce culte de latrie (adoration réservée uniquement au Seigneur, Ndw) est le propre des hommes et des femmes qui sortent de leur sommeil avec la vive intelligence de se soumettre au pouvoir de leur Créateur : « Venez, crions de joie pour le Seigneur […] Entrez, inclinez-vous, prosternez-vous, adorons le Seigneur qui nous a faits. Oui, il est notre Dieu…».
Le Psaume ne chante pas du tout l’absence de troubles, de difficultés ou de problèmes, tel que nous le souhaitons pour nos vies ! A l’exclusion de toute routine, l’injonction intemporelle à la louange solidaire est la réponse délibérée et appropriée qui se source dans la reconnaissance de la grandeur et de la bienveillance de Dieu. Premier mot du jour chrétien, et fruit de l’harmonie entre notre intérieur et notre extérieur, la gratitude perpétuelle nous fait renoncer à notre suffisance, pour nous ouvrir à une Présence. Le tumulte de la vie, les sollicitations en bataille, les urgences du temporel, les fardeaux et les angoisses du quotidien, tout cela conspire à nous priver d’un ancrage essentiel. C’est pourquoi, ce Psaume dit « invitatoire » offre sagesse et clarté pour faire de chaque jour un jour pour Dieu, dans une joyeuse célébration qui prédispose à surfer, de manière sécure, aux frontières des complexités de l’existence.
2. Au plein milieu d’une époque troublée, le prophète Habacuc en fait les frais. Il crie vers le Ciel son trop plein. Néanmoins, il a le sentiment que ses appels restent sans réponse. Avec impuissance, il ressent la douleur du silence assourdissant de Dieu. Il décide d’épancher le poids de son cœur tourmenté. Face à la prépotence du chaos et à la banalisation de la souffrance d’autrui, Habacuc ne comprend pas jusques à quand ni pourquoi la main de Dieu resterait inactive.
Esseulé dans l’incompréhension, il exprime son désarroi par ce questionnement légitime dépourvu de toute imputation. Il pose le problème de la justice de Dieu dans le gouvernement des peuples. Affligé, il reste persévérant dans la foi, cette foi qui lui découvre la lumière à même de dissiper ses ténèbres. Pendant qu’il flottait dans cette incertitude, Dieu choisit de répondre à sa supplique, non par un miracle immédiat, mais par une révélation sûre qui descend comme une ancre dans la tempête de son esprit agité : « Le juste vivra par sa fidélité ».
Quand le méchant se promène sur plus juste que lui, Dieu se tient en silence non par manque de puissance, mais parce qu’il attend son heure. La vie épanouie et immortelle dépend de la fidélité à Dieu. Et pour jouir des honneurs du triomphe, il est attendu de nous cette lucidité de savoir attendre l’heure de Dieu au cœur des épreuves et des obscurités sur le chemin du temps qui vient. Là, le juste trouve secours toujours offert dans la détresse.
L’expérience d’Habacuc est donc une leçon de foi et d’espérance. Elle est un paradigme de patience et de persévérance, lorsque, exposées à un vide spirituel, nos assises s’en trouvent bousculées.
3. La page d’Évangile de ce dimanche s’ouvre par une requête apostolique singulière : « Augmente en nous la foi ! »
Cette demande est le point de départ même de la Foi, et elle interpelle notre bon sens. On peut bien être amené à nous demander ce qui a conduit les plus proches de Jésus à observer et à verbaliser leur besoin.
L’évangéliste Luc nous appelle à scruter le détail. Il a déjà campé le décor en nous situation dans l’activité missionnaire, puisqu’il utilise le terme « apôtres » ; c’est-à-dire, « envoyés ». Autrement dit, sur les chemins du monde, ceux que Jésus envoie se sentent parfois très peu outillés pour la cause. Alors, il arrive qu’ils hésitent ; doutent ; ont peur d’échouer ; ne croient pas en leurs capacités. Enthousiastes, ils ont encore des attentes et aspirent à la maturité spirituelle.
Les Apôtres ont certainement compris que rien ne se maintient à coup de volonté propre, mais plutôt à force de croire. Cela explique pourquoi ils demandent à Celui qui les envoie ce qu’on pourrait appeler « un renforcement de capacités » qui les rendrait autonomes. Certes, ils n’ont pas une juste perception de ce qu’ils demandent lorsqu’ils le réduisent à un volume ; mais, ils ont le désir de mouvoir les montagnes en oubliant que c’est lorsqu’ils sont faibles qu’ils sont forts. Or, dans le champ de la mission, on ne peut jamais s’affranchir du Christ. Quand on y agit et interagit sans lui, c’est le Démon qui agit.
Bien évidemment, Jésus n’accède pas à la demande des apôtres telle que formulée. Il ne résonne pas en termes de quantité, mais de qualité ; pas en termes de grandeur apparente, mais de puissance intérieure transformatrice. De cette manière, Jésus veut éviter aux siens le piège de l’orgueil, en tentant de leur expliquer en parabole que la foi authentique nous ramène à notre juste place.
D’où l’importance d’examiner nos motivations pour discerner si nos actions sont guidées par le désir de plaire à Dieu ou par la quête de l’approbation des hommes. La foi humble ouvre la porte à une vie de service désintéressé, où chaque acte, même le plus petit, devient un témoignage de la grandeur de Dieu et de la puissance de sa grâce.
Le message est on ne peut plus clair : Prendre conscience de sa faiblesse ouvre à l’adoration. L’adoration, c’est le premier palier de la foi. C’est de la que le croyant tire toute sa puissance. Le message est le suivant : il suffit d’un peu de foi et on déracine les sycomores réputés indéracinables pour les transplanter dans la mer réputée mystérieuses et inaccessible. Ni sur la terre ni dans la mer, rien n’arrête l’action apostolique authentique ; parce que c’est Dieu lui-même qui agit.
4. Depuis sa prison à Rome, l’Apôtre Paul donne à son bienaimé Timothée un testament spirituel, un guide pratique pour naviguer les eaux souvent tumultueuses de la vie chrétienne et du ministère pastoral. Il connait les défis, les persécutions et les incompréhensions inhérentes à la propagation de l’Évangile. C’est pourquoi il exhorte son protégé à puiser sa force non pas en lui-même, mais dans la puissance de Dieu, dans la foi inébranlable en Jésus-Christ et dans la confiance en l’assistance du Saint-Esprit qui est le souffle vital de l’Église, le moteur de la transformation intérieure et le catalyseur de l’action apostolique.
Saint Paul articule son message autour de cinq recommandations majeures que nous sommes invités à faire nôtres :
- La revitalisation spirituelle : « Ravive le don gratuit de Dieu qui est en toi » ;
- La gestion des émotions et des réactions face à l’adversité : « Chasse la peur en restant fort, aimant et pondéré » ;
- La solidarité et le courage dans l’épreuve : « Prends ta part des souffrances liées à l’annonce de l’Évangile » ;
- La fidélité doctrinale : « S’en tenir au modèle donné par son enseignement » ;
- La préservation de l’héritage spirituel : « Garder le dépôt de la foi dans toute sa beauté ».
Ces recommandations sont le plan d’action divin pour une vie chrétienne et un ministère réussis.
Puisse le Seigneur délivrer notre conscience de ce qui l’inquiète.
Père Rémi Diouf
En résidence à l’abbaye