Homélie :
Parmi les livres de la Bible, celui de job est peut-être celui qui aborde le mieux les grandes interrogations de l’existence. En effet, qu’il s’agisse du mal, de la guerre, des catastrophes, ce sont des questions qui taraudent l’homme de tous les temps. Mais il en est une qui fait plus particulièrement scandale c’est celle de la souffrance du juste et de l’innocent.
Mettant en scène un personnage béni de Dieu, sur qui s’abattent tous les malheurs du monde : Mort de ses enfants et de ses proches, perte de tous ses biens, maladie, abandon et incompréhension de ses amis. Bien sûr, Job est un personnage symbolique, mais les malheurs qui l’accablent sont l’expression de ce qu’éprouvent les hommes de toutes les époques.
Après cette présentation du personnage, l’auteur biblique développe par la bouche de ses amis les arguments qui tentent de justifier ces souffrances, comme le châtiment par Dieu de fautes cachées, ou même comme une mise en garde contre des fautes qui pourraient advenir. Job traverse la nuit, tiraillé entre la confiance en Dieu et le doute.
Finalement, Dieu intervient lui-même, réduisant au silence aussi bien Job que ses amis. Il n’abandonne pas le juste qui met en lui sa confiance. Et surtout – et c’est le sens du passage que nous venons d’entendre – Il est le maître de l’univers. Sa création est bonne et Il commande aux forces de la nature. Plus encore, Il a pouvoir sur la mort, sur les forces hostiles symbolisées par la mer, comme on le voit dans la tradition biblique, lors de la création ou du passage de la Mer Rouge. Dans un avertissement solennel, il met une limite à son pouvoir : « Tu viendras jusqu’ici ! Tu n’iras pas plus loin. Ici s’arrêtera l’orgueil de tes flots. » La preuve de sa victoire sur les forces hostiles, c’est qu’il rétablit Job dans la bénédiction en le comblant plus qu’avant. Job, l’innocent, symbole de l’humanité souffrante, à qui Dieu rend le bonheur perdu, annonce la mort et la résurrection de Jésus.
Cet extrait du livre de Job nous prépare à entendre le récit évangélique de la tempête apaisée. Ce texte, dans l’évangile de Marc, constitue une transition entre une série de paraboles et des récits de miracles. C’est aussi une transition géographique entre Capharnaüm et Gérasa, entre le monde juif et le monde païen. Il est encore une transition temporelle, entre le soir d’une journée de prédication et le matin d’un jour nouveau où Dieu manifestera sa puissance et sa présence. Mais la nuit qui relie ces 2 journées verra l’action des forces hostiles, symbolisée par la tempête. C’est le temps de l’épreuve pour les disciples.
Pourtant, c’est bien Jésus qui a l’initiative de cette traversée : « Passons sur l’autre rive ! » La tempête se déchaîne et les disciples sont affolés devant la violence du vent.
Le plus surprenant dans ce récit, c’est l’attitude de Jésus. Il dort, comme inconscient du danger qui menace la barque. Or nous savons qu’Il est Dieu, et nous disons avec le psaume : « Non, il ne dort ni ne sommeille, le gardien d’Israël ! (Ps 120) ». Donc, pourquoi avoir peur ? Mais Jésus est homme et il a pris sur lui nos faiblesses. Il doit réparer ses forces après la fatigue d’une journée bien remplie. Et c’est à travers cette faiblesse humaine assumée que se manifeste sa divinité. Sa force vient de sa parfaite confiance en son Père. Ce sommeil annonce déjà celui du tombeau avant son réveil au matin du 3e jour. Il peut affronter les forces hostiles de la mort.
Il reproche aux disciples leur manque de foi. En effet, lui présent dans la barque, ils n’ont rien à craindre si la tempête fait rage. Sa parole rétablit l’ordre des éléments déchaînés et fait passer les disciples de la peur à l’émerveillement de la foi.
La lumière pascale éclaire cet épisode dont Pierre a été le témoin privilégié. Il reconnaît en Jésus son Seigneur et Maître, celui qui lui a confié le gouvernail de la barque.
Cette barque, en effet, c’est la jeune Église, celle des chrétiens de Rome et les barques qui accompagne celle de l’Évangile, ce sont les églises sœurs qui, ensemble, n’en font qu’une, l’Église du Christ. Cette église est assaillie par la tempête des persécutions. Pierre rappelle aux chrétiens que, même si Dieu semble absent, il les garde et les conduit. Jésus est bien présent, même lorsque leur foi est mise à l’épreuve par les assauts de l’Adversaire. » La puissance de la mort ne prévaudra pas sur l’Église » avait dit Jésus à Pierre.
Pour celui-ci aussi, le passage sur l’autre rive auquel Jésus engage ses disciples, c’est la mission auprès des païens. Les nations doivent passer des ténèbres à la lumière, de la mort à la vie. Et cet apostolat ne va pas sans souffrances. Mais Jésus, le premier, les a traversées et entraîne ses témoins à sa suite.
C’est grâce à la prédication des apôtres que nous-mêmes avons reçu la lumière de la foi et la vie du Ressuscité. Nous sommes embarqués à la suite des générations de croyants qui nous ont précédés. Comme eux, nous connaissons des épreuves. L’Église continue d’affronter des tempêtes : attaques externes ou secousses internes. Aujourd’hui comme hier, sévissent des persécutions. L’inquiétude nous prend devant l’affaiblissement de la foi, la baisse de la pratique religieuse, le manque de vocations ou encore devant les scandales et les divisions entre chrétiens.
Pourtant, malgré ces crises, la vie se manifeste toujours de façon inattendue. Une fois semée, la parole de Dieu germe et grandit. Partout, des chrétiens témoignent de leur foi et manifestent l’amour de Dieu en se donnant au service des pauvres et des souffrants.
Que ce soit ecclésiastiquement ou personnellement, Jésus vient réveiller notre foi en donnant l’exemple de son abandon au Père. Il veille sur le Royaume en croissance et nous garde dans les épreuves qui surviennent pour nous faire croître dans la foi.
Les disciples ont offert leur vie à Jésus par amour pour Lui. Ils l’ont suivi sur l’autre rive. Le baptême nous fait passer de la mort à la vie, mais la traversée se poursuit chaque jour. Saint Paul nous rappelle qu’il s’agit d’un chemin de conversion. Suivre le Christ, c’est quitter la vie selon le monde pour vivre selon l’Esprit. Le Chrétien ne vit plus centré sur lui-même, prisonnier du péché. Il est une créature nouvelle et appartient au Christ qui se donne à nous. C’est ce mystère que nous célébrons dans l’Eucharistie.
Frère Claude
Moine du Bec